15 Avril 2020
A son réveil, un message l’attendait sur son téléphone.
« As-tu pensé à la proposition ? Il ne reste que trois jours et la place n’attendra pas éternellement ».
Elle ne se rappelait même plus à quel moment elle partit en sanglots. Pouvait-elle en parler à sa mère ? La croira-t-elle ? Non, elle préfère garder tout cela pour elle. Sa mère était la seule chose qui lui restait et elle ne pouvait pas se permettre de perdre sa confiance ou se mettre en situation délicate avec elle. Elle ferait tout pour protéger sa maman chérie, celle qui avait tout donné pour elle quand son père avait fini par prendre une deuxième femme et les délaisser. Puis de disparaître de la circulation. Mais n’était ce pas aussi un trop lourd fardeau à porter pour son âge ? Peut-être qu’elle avait besoin de cela pour devenir mature le plus rapidement possible. D’ailleurs c’était en pleine semaine et les cours l’attendaient. Elle prit ses polycopies et se mit à lire mais le message qu’elle avait reçu quelques minutes plus tôt la hantait à tel point qu’elle ne pouvait se concentrer réellement. Elle finit par abandonner la leçon, s’habilla et décida d’aller faire un tour dans le quartier.
Elle choisit de s’asseoir en face de la fontaine d’eau qui servait d’attraction à la Place de la Paix. C’était un coin très apprécié des riverains et surtout des jeunes gens qui se donnaient rendez-vous en amoureux bras dessus dessous, se prenant en photo et qui n’hésitaient pas parfois à s’embrasser avant de se séparer. Pourrait-elle un jour profiter de la vie ainsi ? Elle qui n’avait même pas encore commencé et qui se retrouvait face à un choix délicat qui pourrait changer le cours de sa vie à jamais. « Seigneur, que faire ? » se disait-elle en son for intérieur. N’est-ce pas qu’il prend toujours soin de ses enfants ? Elle avait besoin d’un ange gardien en ce moment car elle n’était pas prête à sacrifier son honneur. Elle tenait à sa virginité. Même si elle devait se donner à un homme, elle préférerait faire le premier pas avec un garçon qu’elle désirerait de son cœur, pas avec cet homme qui avait presque l’âge de son père et abusait de son autorité de directeur des ressources humaines. Son regard était perdu dans le vide, les yeux larmoyants. La chair de poule était perceptible alors qu’il n’y avait même pas une brise d’air en cet après-midi ensoleillé. Le temps était quand même assez bizarre. Elle se décida de ne penser à rien, rien du tout. Cela pourrait l’aider à se soulager. Ou mieux, penser plutôt à des choses positives du passé, se projeter dans l’avenir, comment elle prendrait soin de ses enfants. Si seulement son père était là. Elle ne l’a jamais connue. Sa maman racontait que c’était un type bien avant de croiser la route de cette sorcière. Quand elle posait la question de savoir à quoi il ressemblait, sa maman lui disait toujours de se l’imaginer car la souffrance de sa perte faisait qu’elle avait détruit tout ce qu’elle avait comme photo. Elle pouvait comprendre sa douleur mais elle ne voulait pas aussi contrarier sa maman donc elle n’insistait pas. Elle était encore évasive quand une voix douce la ramena sur terre.
La douce voix avait dû s’y prendre à deux ou trois reprises avant d’attirer réellement son attention.
Elle voulait l’envoyer balader quand elle leva les yeux et remarqua qu’il lui avait tendu un mouchoir blanc pour sécher ses larmes. Le mouchoir semblait n’avoir jamais été utilisé. Elle l’accepta toute hésitante puis timidement se fendit d’un merci. C’était un bel homme. Elle ne pouvait pas donner son âge mais il ne devait pas être si âgé que cela. Trois, quatre ou cinq ans ? Oui cinq ans serait sûrement le maximum. Il avait de larges épaules et portait une chemise à rayures. Il avait pris soin de laisser un bouton ouvert, faisant découvrir une partie de sa poitrine. Quelques poils se laissaient voir. Bref, on dirait un de ces mannequins qu’on admirait dans les novelas. Que lui arrivait-il ? Elle devait perdre la tête en remarquant tous ces détails en moins d’une minute. Puis le jeune homme ajouta.
Elle voulut répondre mais avait la gorge serrée. Elle réussit juste à dire oui de la tête. Il s’assit puis garda un silence troublant. Elle sentait qu’il avait envie de parler mais il n’ouvrait pas la bouche. Peut-être qu’il attendait que ce soit elle qui fasse maintenant le pas ? Jamais, elle ne ferait un truc pareil. Qui sait si c’était un loup déguisé en agneau ? S’il avait un plan, il fallait que ce soit lui qui avance en premier ses pions. Mais il était imperturbable dans sa stratégie. Cela faisait presque une demi-heure. Ils se jetaient par moments des regards furtifs. Puis son téléphone sonna :
Elle ne pouvait pas entendre ce qu’il écoutait mais ses bonnes manières la fascinaient. Très poli au téléphone, courtois, posé, il devait être bien éduqué et ne devrait pas faire partie de la catégorie de ces garçons qui se piquaient la grosse tête. Il continuait sa conversation sans parler à haute voix mais assez pour qu’elle puisse entendre ce qu’il disait.
Il raccrocha, regarda à gauche et à droite comme si le coup de fil était arrivé au mauvais moment puis la fixa pendant quelques secondes et lui dit :
Puis il se leva. Elle ne connaissait même pas son nom. Il ne lui avait pas non plus demandé le sien. Quel garçon étrange ! Il fit un premier pas quand elle s’écria :
à Suivre...
Un récit de Martial Daté TEVI-BENISSAN